La chambre des officiers. Marc Dugain - 1999

Publié le 29 Janvier 2014

La chambre des officiers

Marc DUGAIN

Editions Pocket, décembre 1999.

Il y a quelque temps, un soir, je suis tombée sur l’adaptation cinématographique de ce roman qui passait à la télévision. J’ai malheureusement raté le début, mais j’ai pu retrouver le DVD et le livre dans une brocante il y a peu !

Vous le savez, la période de la Grande Guerre me passionne particulièrement : la société civile et militaire, la politique, l’héritage historique et les progrès techniques. Ceux-là mêmes que l’on encense, qui semblent à tous si prometteurs et positifs, qui déchaîneront l’enfer sur Terre et donc sur eux-mêmes sans qu’ils aient pu faire le rapprochement… La guerre en permettra d’autres : de passer d’une économie rurale à industrielle, et surtout de la médecine, mais à quel prix !

Adrien Fournier, jeune ingénieur officier, quitte sa Dordogne à l’annonce de la mobilisation pour la Meuse. Il doit passer par Paris, où il s’arrête et où il fait la connaissance de Clémence, avec qui il passera la nuit. Il lui demande de lui laisser ses coordonnées lorsqu’elle quittera son appartement.

A peine arrivé sur son lieu d’affectation, son capitaine lui donne une mission de reconnaissance pour le lendemain afin de déterminer des points où déployer des ponts mobiles. Mais ses deux hommes et lui-même sont victimes d’une embuscade. Adrien n’est pas touché à la jambe ou au bras. Adrien n’est pas mort sur le coup, ou se vidant de son sang jusqu’à extinction. Adrien reçoit une balle à la base du nez qui lui emporte le bas du visage, et la mort refuse de le prendre, un caillot stoppant l’hémorragie.

Sa guerre, Adrien la vivra à l’hôpital, à Paris. Sa guerre à lui durera cinq ans. Délirant et seul, il constate qu’aucun miroir n’orne les murs. C’est en ayant des compagnons de chambre qu’il comprendra que la vision des autres constitue son propre reflet. Certains restent, d’autres s’en vont. Adrien se lie d’amitié avec un pilote, Pierre Weil dont l’avion s’est écrasé en flammes et un capitaine de cavalerie, Henri de Penanster.

Dans sa chambre ne se trouveront que des officiers blessés de la face. L’hôpital accueille plusieurs types de blessures qu’il répartit en fonction de leur nature et du grade des soldats.

Tous les jours, le médecin-chirurgien vient le voir et, sans ambages, l’informe en détail des futures opérations, des difficultés à prévoir et des infortunes… « De mémoire de chirurgien, on n’avait jamais vu ça. Surtout pour les blessures du visage. C’est à cause de l’artillerie. Les Boches, c’est pas le genre à balancer du petit plomb. La médecine avance, elle fait des pas de géant. D’ici la fin de la guerre, on refera des faces à neuf, comme si rien n’était arrivé. De la destruction massive pour élever le niveau de la connaissance, c’est paradoxal, non ? (…) Les jambes, les bras, c’est simple, on coupe. Plus ou moins haut mais on ne fait que couper. En maxillo-faciale, le problème n’est pas d’amputer, mais de faire repousser, et ça, c’est passionnant. Plus pour nous que pour vous, j’en conviens. »

Une présence féminine et mystérieuse va même les intriguer, jusqu’à ce qu’ils la rencontrent : Marguerite, infirmière sur le Front et dont le bas du visage a été emporté.

Peu à peu, ensembles, ils vont se connaître et se reconnaître, se reconstruire, réapprendre à vivre mais à l’abri des regards, à huis-clos. Constamment, Adrien pense à Clémence.

Leurs rares sorties dans Paris leur renvoient des images d’horreur. Ils font peur. Les civils ne sont pas prêts à les voir et eux, encore, à s’accepter. Adrien n’informe pas sa famille, jusqu’à ce que celle-ci vienne jusqu’à lui. D’autres ne tiennent pas le coup et se donnent la mort. Les trois compères résistent et vient la fin de la guerre. Ils se sentaient en sécurité, semblables aux autres. Désormais, ils seront un rappel constant à ce passé d’horreur.

Adrien sort de l'hôpital en 1919 et rentre chez sa mère. Mais il veut vivre sa vie et compte reprendre le poste qu’il occupait avant la guerre. Mais il est éconduit, son physique dérange. Il retrouve Clémence par hasard, elle a une enfant dont le père est mort au combat.

Il est le premier à se marier, à se construire un futur, à avoir un enfant. Puis Weil. Même séparés géographiquement, les trois se retrouvent régulièrement puis la guerre frappe de nouveau. En 1940, ils veulent croire à la paix.

1946 : Penanster est le premier à mourir, peut-être suite à un accident. Sujet à des douleurs de plus en plus persistantes et insoutenables, il est retrouvé mort au bas d’une falaise. A son enterrement, Adrien et Weil se promettent de faire retrouver le sourire aux nouveaux anciens combattants et de leur réapprendre à vivre.

La chambre des officiers est le premier livre de Marc Dugain, romancier et réalisateur français, ami de Stéphane Audoin-Rouzeau, grand spécialiste de la Grande Guerre. Ce roman a reçu deux prix littéraires, celui des Libraires en 1998 et celui des Deux-Magots l’année suivante. C’est en 2001 que le livre fut adapté sous son titre éponyme au cinéma par François Dupeyron. Le film suit fidèlement le livre et montre parfois féroce, souvent intime la peur, la douleur et les atermoiements de ces hommes défigurés.

Marc Dugain est né en mai 1957 au Sénégal où son poste occupait un poste administratif. Rentré en France à l’âge de sept ans, il visitait régulièrement avec son grand-père des soldats, mutilés du visage, de la Première Guerre Mondiale dans le château dit « des Gueules cassées » à Moussy-le-Vieux.

Elles lui inspirèrent ce livre, fort en émotions. On a peur avec et pour Adrien, on ressent ses craintes et ses espoirs. Certaines questions sont toujours d’actualité : quelle place dans notre société pour ceux qui sont différents, qui ne correspondent pas aux canons de la beauté ? Quelle reconnaissance doit-on leur apporter ?

Ce roman ne laisse pas indifférent.

Il vous marque.

L’avez-vous lu ou vu le film ?

N'oublions pas.

Blandine.

Roman lu dans le cadre du Challenge « Petit Bac 2014 » d’Enna, pour la catégorie BÂTIMENT, ligne adulte et pour celui de Stephie, "Une année en 14".

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Commenter cet article
N
Je confirme que c'est un livre difficile à oublier... Et très dur ! Au moment où je l'ai lu, je ne connaissais pas du tout l'existence de ces fameuses "gueules cassées" et je suis allée faire un tour sur internet... Pfoouuu ! Quel enfer, quelles souffrances ont dû subir ces malheureux... Merci à eux, grâce à qui, au passage, la médecine, la chirurgie, ont fait des progrès qui ont permis à d'autres de "moins" souffrir...
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B
Oui ce livre est très émouvant et bouleversant... C'est dommage, triste, qu'il faille en passer par le pire pour, paradoxalement, aider, améliorer, comprendre aussi... mais je ne suis pas sûre que les leçons soient comprises pour autant...